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Lectures et chroniques...

Chroniques portant sur des polars, mais pas seulement. Vous y trouverez aussi quelques entretiens avec des auteurs. Blog de Jacques Teissier

Mais l'enfant qu'est-il devenu...(Polar, chapitre 6)

Quand Élise avait compris que je ne viendrais plus à Sauvagnac que sporadiquement, elle avait fait aménager la partie arrière du bâtiment, qu’elle n’utilisait pas, afin de la rendre indépendante du reste de la maison. Cuisine, salle de bain, salon, une chambre, une entrée autonome sur la façade nord, c’était l’idéal pour un gite rural. Dans la Vallée, ce genre de plan marchait du feu de dieu, en particulier pendant les vacances scolaires. Élise y avait vu le moyen idéal d’améliorer sa retraite. Exactement ce qui s’était passé. Et elle avait en prime de la compagnie à certains moments de l’année. Que demander de mieux, m’avait-elle dit. Comme elle n’allait pas vers l’extrême jeunesse, ça me rassurait aussi de savoir qu’elle n’était pas toujours seule dans cette grande maison. C’était donc ce gite que Dominique et Ferdinand occupaient maintenant, là où ils se retirèrent vers minuit, au moment du départ de Muriel. 

 

Celle-ci tenait à revenir chez elle. Son amie Juliette y était restée pour attendre un éventuel appel des gendarmes, et elle allait prendre le relai. Nous avions tenté de la réconforter de notre mieux, mais rien n’y faisait. Elle restait perdue, sonnée, désemparée.

 

Avec Diva, nous étions ensuite partis vers la cabane, qu'elle allait enfin découvrir. Nous n'avions pour guider nos pas que la lueur faiblarde d'une lampe torche et pour nous protéger de la pluie battante, nous tenions au dessus de nos têtes une épaisse couverture de laine, qui fut totalement détrempée à notre arrivée.  

J’entrai le premier. Elle me suivit et j’attendis son verdict avec une certaine appréhension. Sans mot dire, elle examina les jointures approximatives de la porte et de la fenêtre, eut une grimace amusée en observant le bordel sophistiqué qui saupoudrait le lit et une partie du sol, examina la solidité du plancher de bois brut en le frappant du pied en différents endroits, vérifia que l’eau sortait bien du robinet et la lumière de la deuxième ampoule, et je vis alors qu’elle était prête à me donner son avis d’experte et future utilisatrice, directement concernée par le chef-d’œuvre.

 

– Je la trouve sympa ta cabane, surtout si on ne tient pas compte des finitions. En tout cas, l’idée de passer la semaine ici plutôt que dans la maison d’Élise me plait bien. Cela dit, je ne refuserai pas un peu de chauffage, on se gèle !

 

Sa réaction me combla d’aise. Soulagé, j’appuyai sur le bouton d’allumage du radiateur à gaz que j’avais installé la veille spécialement à son intention en le plaçant sous la fenêtre, la seule place encore disponible. Deux heures avant son arrivée, j’avais passé trois quarts d’heure à vérifier et nettoyer le déclencheur afin qu’il démarre à la première sollicitation. Comme par miracle, après mon action la rampe de gaz flamba de tous ses feux et je me comportai comme si la chose était parfaitement normale, et même banale. Pour le reste, je ne pus résister au plaisir d’en rajouter une couche.

 

– Possible que je ne remporte pas encore un concours international d’architecture, mais pour un amateur, avoue que c’est pas mal, lui lançai-je immodestement. Et puis d’après mes observations elle est solide, capable de résister aux coups de groins des sangliers. À mon avis, elle devrait même réussir à passer haut la main tous les tests de contrôles antisismiques. Que peut-on demander de plus, je te le demande ?

 

Elle eut une moue dubitative qui doucha mon enthousiasme.

 

– Tu sais qu’il n’y a pas eu de véritable séisme dans la région depuis les Carolingiens ? Quant à ce que l’on peut demander en plus... peut-être des chiottes ? Je vois que rien n’est prévu...

 

– J’étais sûr que tu allais dire ça ! Là, on dépasse largement le concept de cabane pour se rapprocher furieusement de celui de château. Je vais quand même y réfléchir...

 

Avant de me lancer dans l’entreprise, j’avais expliqué à Diva que pour des raisons de sécurité, il serait préférable que j’attende la venue de Murcia non pas dans la maison d’Élise, où il viendrait forcément en premier, mais dans un coin à l’écart d’où je pourrai surveiller la maison en toute sécurité. Une cabane discrète, perdue au milieu des arbres, équipée de dispositifs de surveillance sophistiqués serait le lieu stratégiquement idéal pour l’attendre, avais-je ajouté.

 

En réalité, cette idée coïncidait avec une passion ancienne qui ne m’avait jamais quittée. Pendant une partie de mon enfance solitaire, j’avais rêvé d’un endroit clos, secret, dans lequel je pourrais me réfugier loin des adultes pour y vivre des jeux, des rêveries ou des lectures passionnées. Entre huit et quatorze ans, j’avais réalisé six cabanes, chaque fois un peu plus élaborées que les précédentes, dont la dernière était située sur la hauteur d’un châtaignier séculaire et avait comme seul accès possible une échelle de corde que je camouflais soigneusement lorsque j’y étais installé. Aujourd’hui, avec des moyens d’adulte, j’avais continué mon rêve d’alors et Diva, que je soupçonnais de n’être pas dupe de mon argumentation fallacieuse, n’avait soulevé aucune objection ni émis la moindre remarque ironique à propos de mes travaux, ce que j’avais apprécié.

 

Le silence s’était installé entre nous et me fit prendre conscience du crépitement violent de la pluie sur le toit, qui accentuait le sentiment que j’éprouvais d’être dans un cocon protégé des rigueurs extérieures. Elle avait replié l’ordinateur, l’avait posé sur la table à proximité de la porte, s’était assise sur la chaise en me regardant. Elle semblait attendre que je passe à des propos plus intimes et plus personnels que mes pauvres élucubrations sur la cabane. Mais je ne dis rien. Pour dissiper ma gêne, je rangeai méthodiquement les documents épars sur le lit et le plancher : des livres et des feuilles sur lesquelles j’avais commencé à jeter des notes manuscrites pour la rédaction de mon premier roman, un autre vieux rêve, là aussi, auquel je tentais le soir venu d’insuffler un peu de vie. Le rangement fut rapide. Finalement, il n’y avait pas tant de foutoirs que ça !

 

Lorsque je m’arrêtai, mes yeux croisèrent les siens. Je me souvins alors comment, pour faire le malin, peu de temps après son arrivée au commissariat, fasciné par sa sensualité, la finesse de son visage et plus encore par l’incroyable beauté de ses yeux, je lui avais récité les premiers vers du poème d’Aragon « les yeux d’Elsa » : Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire J’ai vu tous les soleils y venir se mirer, S’y jeter à mourir tous les désespérés, Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire.

 

C’était une drague lourdingue et quand j’y repensais je ne comprenais pas comment elle ne m’avait pas envoyé promener. Je souhaitais qu’elle me considère comme autre chose qu’un simple collègue, j’espérais que le regard qu’elle porterait sur moi serait différent... et je lui sortais un truc pareil ! Logiquement, elle aurait dû fuir à toutes jambes.

 

Mais non, elle m’avait écouté sans mot dire, puis elle avait souri, un sourire à briser le cristal en silence, à effacer les larmes des enfants. Sans faire davantage de commentaires, elle avait continué à déclamer la suite du poème : « À l’ombre des oiseaux c’est l’océan troublé Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent L’été taille la nue au tablier des anges Le ciel n’est jamais bleu comme il l’est sur les blés ».

 

Elle avait poursuivi en le récitant jusqu’au bout alors que je n’en connaissais guère que la moitié. C’était une semaine avant qu’elle me confie le traumatisme qu’elle avait vécu, quelques mois plus tôt.

 

À ma sortie de l’hôpital, nous avions décidé de rester trois semaines sans nous voir autrement que par écran interposé. L’idée était de développer une relation à distance, de l’alimenter par des échanges quotidiens pour susciter l’exacerbation d’une possible passion amoureuse, tout comme les échanges épistolaires des siècles passés avaient permis l’éclosion d’amours rares, fortes, parfois violentes. Une idée romantique qui venait de Diva et que j’avais acceptée avec amusement.

 

Je ne savais pas où elle en était de ses difficultés car nous n’en avions pas reparlé, mais je savais que ce soir nous tenterions de reprendre le fil interrompu de notre relation physique pour tenter de le tisser à nouveau, plus fortement. De mon côté, si le souvenir d’Amélie ne s’estompait pas et restait toujours douloureux, ma culpabilité au fil du temps s’était faite moins dévorante, moins dévastatrice. L’expérience nouvelle de la proximité de la mort avait commencé à me libérer de ce poids inutile et m’incitait à regarder la vie d’une façon simple, instinctive. Tout comme avant.

 

Elle se leva et sans que je sache comment ça s’était produit et qui avait pris l’initiative, nous nous sommes rapprochés, enlacés, puis nos bouches se sont cherchées et se sont trouvées tout naturellement. Diva m’attira sur le lit et nous avons commencé à nous déshabiller mutuellement.

 

Notre seule expérience sexuelle, quatre semaines plus tôt, à l’origine de la décision que nous avions prise de nous entraider, avait eu un goût – prévisible – d’inachevé. Paniquée, Diva m’avait repoussé avec violence, d’une façon instinctive, au moment où elle avait senti mon sexe entrer en elle. Ensuite elle avait pleuré, désemparée de voir qu’elle ne pouvait toujours pas maitriser son plaisir, pleinement, totalement.

 

De mon côté, ça n’avait pas été mieux. Juste avant que Diva ne me repousse, l’image d’Amélie se jetant par la fenêtre du sixième étage de notre immeuble m’avait envahi une fois de plus, comme un signe du destin s’interposant entre nous. Pourquoi juste à ce moment précis ? Je n’en savais rien, mais cela avait provoqué chez moi une bouffée d’angoisse et j’avais compris que même si Diva ne m’avait pas rejeté, je n’aurais pas pu aller au bout. Fiasco mutuel.

 

Il nous fallait de la patience, de la douceur, éviter la précipitation. Au fil du temps, tout pourrait se remettre en place dans nos têtes et nos corps. Peut-être... ou peut-être pas.

 

Nous étions nus. Je passai ma bouche et mes mains sur ses seins, sur son ventre, me rapprochai de son sexe en guettant ses réactions. Je regardai furtivement son visage et compris qu’elle était parfaitement calme et détendue. Pour l’instant. Je caressai ses cuisses, glissai ma main entre elles et remontai doucement vers les deux aines, puis sur le mont de Vénus. Diva n’avait pas la phobie si moderne des poils et ne rasait pas son sexe. Toutes les filles que j’avais connues épilaient soigneusement chaque partie de leur corps, si bien que l’épilation totale était devenue pour moi un élément naturel du corps des femmes. Jusqu’à ma rencontre avec Diva, les femmes étaient donc des mammifères étranges qui, en dehors des cheveux et des sourcils, ne devaient avoir aucun poil sur le corps. C’était ainsi : une décision qui leur appartenait, semblait indiscutable et avait force de loi chez beaucoup de filles de ma génération.

 

La première fois que j’avais vu Diva dénudée, sa toison pubienne soyeuse, brune et abondante m’avait bouleversé. Elle conférait à son sexe un aspect mystérieux, presque lointain, qui lui donnait un pouvoir érotique incroyablement plus fort que s’il avait été glabre, épilé, exposé au regard. Je le lui avais dit et ça l’avait fait rire. Elle m’avait raconté que pendant longtemps elle avait sacrifié à la mode. Elle aussi s’épilait, mais elle avait arrêté de le faire après le viol collectif. Ainsi, elle se sentait symboliquement davantage protégée, avait-elle ajouté.  

 

Je continuai mes caresses pendant un long moment, ensuite elle prit l’initiative. Elle commença par mon torse, puis mon ventre, se rapprocha de mon sexe en érection et le saisit entre ses mains avec douceur. Elle gardait de son viol une image terrifiante de la fellation et je savais qu’il lui serait impossible de le prendre dans sa bouche. Je compris qu’elle était en train de tenter une expérience, il valait mieux que je ne bouge pas, que je ne parle pas. Elle devait rester maitresse de ses gestes et de son désir, qu’elle devait apprivoiser selon ses propres mots. Elle lécha la base de mon pénis, une fois, deux fois, trois fois, par des petits mouvements de langue précis et rapides, comme si elle devait apprivoiser une bête dangereuse.

 

Peu à peu, sa langue s’attarda et se dirigea vers le gland, je sentis l’entrée de ses lèvres autour de celui-ci, son souffle chaud, l’humidité de sa salive et la douceur de sa langue. Elle continua pendant quelques instants mais n’alla pas plus loin. Même s’il y avait des progrès réels, le blocage était toujours présent.

 

Je lui demandai si je pouvais passer ma langue tout autour de son vagin, sans le pénétrer puisque c’était la limite à ne pas franchir. Elle accepta, et s’allongea sur le dos, relevant ses jambes qu’elle tint avec ses mains sous la pliure du genou, et m’offrit ainsi son sexe, qui était maintenant largement ouvert, mais partiellement masqué par le brun duvet si soyeux qui l’enserrait comme un joyau. 

–        David, tu me promets que tu fais attention ? Ne va pas trop vite, mon amour, sois patient, je suis sûr que nous y arriverons.

 

« Mon amour »... je ne sais pas pourquoi ces deux mots, qu’elle prononçait devant moi pour la première fois, eurent un effet si dévastateur sur mon désir. Je compris que j’aimais cette fille, irrémédiablement, avec violence. Amélie, c’était le passé. Diva était là, et je l’aimais, c’était tout simple. Mon érection disparut en quelques secondes. Elle ne le vit pas et je fis comme si tout était normal. Je commençai à lécher le tour de son vagin, son clitoris, puis j’approchai ma langue des lèvres, m’arrêtai un instant pour lui demander si je pouvais embrasser celles-ci. Elle me dit oui. « Non seulement je n’ai pas de crainte, mais ça me plait », ajouta-t-elle.

–        Mon amour, dis-moi si c’est plus difficile à supporter pour toi, quand je t’embrasse là.

Je prononçai à mon tour ces deux mêmes mots « mon amour » avec délectation, sans craindre le plagiat ni le ridicule. Je m’étais toujours méfié de ces mots d’amour, qui semblaient si définitifs et n’étaient souvent que des masques, des façades. Même avec Amélie je n’y arrivais pas. Et là, brusquement, avec Diva...

Je me sentais confiant, je savais que notre pacte allait fonctionner et que nous allions nous en sortir. Tous les deux ! 

 

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